Great Victoria aurait bien pu être un institut ordinaire, dans lequel le personnel se dévoue tout entier à sa tâche première: le soin de ses pensionnaires, comme l'indiquait la brochure distribuée par des bénévoles à des jeunes et familles à l'apparence fragilisée. A croire qu'ils avaient fait des recherches extérieurs pour trouver des victimes idéales, comme des scientifiques cherchant des sujets pour des expériences inédites. Les parents n'étaient, en général, pas durs à convaincre: soit la présence de leur gamin turbulent était insupportable, et dans ce cas, il ne leur restait plus qu'à embarquer ce dernier, soit l'inquiétude les poussait à les envoyer dans cette prison. Il y avait de nombreux signes évidents, qui pouvaient aisément prouver la véritable nature de ces « bénévoles » innocents. Mais qui, lors d'une dépression aussi atroce que l'attente d'un étouffé en quête d'air a le réflexe de douter d'hommes passant gratuitement du temps à aider les jeunes? On se pose souvent des questions, sur le passé: « Pourquoi il a fallut que ca arrive? » et on fait des suppositions, avec des « si » à répétition: « et si elle n'avait pas... » « et si seulement... ». L'instant présent reste illusoire, et ces bénévoles en avaient bien conscience. Il n'est pas difficile de faire croire à un aveugle que le soleil est vert, et ces parents ne souhaitaient qu'une chose: se faire guider dans un instant où ils ne savaient plus quoi faire, plus quoi dire.

Si vous vous étiez déplacés jusqu'au centre, vous auriez de suite compris que quelque chose ne tournait pas rond. Après avoir parcouru une route interminable, après des tours et des détours qui semblaient destinés à brouiller d'éventuelles pistes, vous seriez arrivés à une sorte de ville fantôme entourée de barbelés et de grillages immenses, avec, à intervalles régulièrs, des tours de surveillances; à croire que les constructeurs de cet endroit insalubre s'étaient inspirés des camps de concentration. Il ne manquait plus que la croix gammée et quelques inscriptions nazis. Evidemment, une fois rentré, vous n'auriez pas vu des adolescents squelettiques et blafards, même si vous n'en auriez pas été moins effrayé. Les âmes poussées à la cruauté extrême semblaient hurler à la délivrance, et les yeux parfois hagards ou se refletait la drogue qu'on leur injectait vous auraient vrillé sur place. De nombreux surveillants, ou infirmiers vous auraient accueilli avec grande pompe et révérence, mais vous n'auriez pas été dupe: on maltraitait ces enfants, d'une manière ou d'une autre. Coupés du monde, les lettres désespérées qu'ils envoyaient à leurs parents n'arrivaient jamais à leurs destinataires. Mais la phase finale, ici, c'est lorsque vous devenez accro à Great Victoria. Vous ne pouvez plus vous passer de sa violence et du bien que ca vous procure, de vous faire maltraiter, chaque jour que dieu fait. Les gérants ne sont pas toujours les plus violents, dans toute cette histoire, et leur complot se retournent parfois, bien que rarement, contre eux. Impossible de s'echapper, tant physiquement que psychiquement.

Schizophrène, délinquants, psychopathes miniatures, voyants psychotiques, malades en tout genre, vous trouverez toutes les espèces ici, malmenées par des pensionnaires jugés plus « aptes » que les autres, tout comme ces criminels nazis qui devinrent des générals par acte de cruauté. Mais ici, tout le monde vous le dira: faites attention, vous risqueriez de vous perdre vous même dans ce labyrinthe des esprits...