Il ouvrit un œil, puis le second. Les rideaux étaient tirés et la chambre était plongée dans l’obscurité la plus complète. Un frisson le parcouru alors qu’il étirait paresseusement tout ses membres, baillant sans aucune retenue, avant de se retourner dans ses draps qui sentaient bon le propre et refermer les paupières. Il aimait bien faire durer l’état brumeux du réveil, se dire qu’il a encore du temps devant lui. Il mastiqua quelques secondes dans le vide comme un écureuil grignotant sa noisette, la bouche pâteuse, mais il n’avait pas assez de courage pour aller se servir un verre d’eau. « Ça peut bien attendre ». Il avait rêvé cette nuit-là, et se souvenir de ses rêves lui laissait toujours une sensation agréable et le rendait de bonne humeur pour la journée. Quel était celui de cette nuit ? Il se tourna une seconde fois dans le lit, cherchant la fraîcheur des draps qu’il n’avait pas encore chauffé. Le jeune homme tentait de saisir l’impalpable mais n’en récoltait que des morceaux, des images floues : Un château flottant au gré d’une rivière, une attaque, Uruha le guitariste de The GazettE, déguisé en princesse Peach court dans tout les sens en poussant de grands cris. Le château coule, tout le monde embarque sur un bateau en plastique, ils arrivent dans une boutique d’opticien et… ah oui Shin… Non, il ne fallait pas penser à ce qui c’était passé dans cette boutique à lorgnons, non, pas maintenant, ce n’était pas le moment de s’exciter alors que ses colocataires dormaient tous à côté de lui, dans cette petite chambre de l’auberge. Heichiro respira calmement pour ne pas commettre l’irréparable, c’est-à-dire avoir une érection qui l’obligerait à… à faire des choses qu’il n’avait pas envie de faire en « public » voyons !
D’ailleurs, pourquoi ne les entendait-il pas ronfler ces flemmards ? Il tendit l’oreille et n’entendit que la rumeur des couverts cliquetant sur les assiettes, venant de la salle-à-manger de l’auberge. Pourquoi tant d’animation à cette heure si matinale ? Car il était obligatoirement entre six heures et demi et sept heures du matin n’est-ce pas ? Il ne se réveillait jamais plus tard et était habitué aux bruits de l’auberge se réveillant doucement et aux chants des oiseaux ? Mais là, tant de bruit… Il n’y avait qu’une phrase qui lui venait à l’esprit : What the fuck ?
Il ouvrit les yeux pour de bon et, se redressant sur son séant, tentant de percer l’obscurité de ses yeux plissés, avant de poser un pied à terre et de se diriger en soupirant jusqu’à la fenêtre pour pousser les rideaux d’un geste théâtral - ce qu’il n’aurait pas dû faire car une lumière éblouissante l’aveugla, le faisant cligner des paupières. Lorsqu’il fut habitué à la clarté ambiante, il jeta un coup d’œil à sa montre et hallucina :

- QUEWA ?! Déjà midi ?! Il n’en croyait pas ses petits yeux.

C’est alors que ses amis l’interpellèrent du café où ils se désaltéraient, situé juste en face de l’auberge :

- Eh Heichi ! Enfin réveillé ? Tu dormais comme un gros bébé, on a pas osé te réveiller. Tu nous rejoins ?

Le jeune homme leur fit un petit oui de la tête, l’air mal réveillé, ce qui les fit éclater de rire. Heichiro leur tira la langue d’un air vexé et ferma la fenêtre d’un coup sec avant de s’étirer lascivement en baillant. Il se posta devant la petite étagère qui était réservée à ses effets personnels et choisit une chemise à manches courtes aux rayures verticales de couleurs acidulées et un pantacourt en jean on ne pouvait plus simple. Les posant avec soin sur son avant-bras droit, il se saisit ensuite de sa trousse de toilette et d'une serviette de bain, avant de prendre le chemin du troisième étage afin de se glisser sous une bonne douche d’eau brûlante. Il ne croisa personne à cette heure-ci, ce qui l’arrangea plutôt. En effet, il se débrouillait toujours pour prendre ses douches lorsqu’il y avait le moins de monde. Peut-être était-ce dû à son homosexualité, mais il répugnait à l’idée de dévoiler sa nudité à d’autres garçons autres que Shintaro. Le jeune homme ne s’attarda cependant pas sous la douche, ne voulant pas laisser poireauter ses amis trop longtemps, cela ne se faisait pas. Ainsi ses vêtements furent vite enfilés. Devant la glace, il peigna ses cheveux mi-longs et mouillés avant de se les ébouriffer légèrement et, après s’être tartiné le visage de crème hydratante comme de coutume, il rembarqua toutes ses affaires à sa chambre et pris soin de les remettre à leur place originelle.

Lorsqu’il apparu enfin à ses amis, ceux-ci l’accueillirent d’un « Enfin, c’est pas trop tôt ! » qui le fit faire la moue. Il s’installa à la place libre que lui désignait l’un deux et ils passèrent une bonne heure à rire pour un rien en se gavant de gâteaux. Le petit groupe venait juste de faire passer les kilos de sucre qu’ils avaient ingurgités grâce à de bons jus de fruits lorsque l’un d’eux proposa d’aller à la plage qui, après tout, n’était vraiment pas loin. L’idée d’aller se griller le lard sur le sable chaud eu l’air de plaire à tout le monde et Heichiro n’osa pas protester. Non pas qu’il ne mourrait pas lui aussi d’envie de se baigner et de bronzer un peu, mais d’une part il ne pouvait pas encore se baigner, son piercing au téton n’ayant pas encore entièrement cicatrisé, et enfin, il ne pouvait même pas retirer sa chemise pour dorer au soleil, ne souhaitant pour le moment pas dévoiler l’existence de ce fameux piercing aux autres. Débile n’est-ce pas ? C’était ce que Heichiro pensait aussi. Pourquoi se faire un piercing si c’était pour le cacher comme une tare par la suite ? Le jeune homme ne se sentait juste pas prêt à assumer son acte de « rébellion » comme il l’appelait lui-même, surtout depuis qu’il avait appris que ce type de piercing faisait extrêmement « gay ». Enfin, bref, toujours était-il qu’il ne se baignerait sous aucun prétexte ce jour-là. Alors que les autres montaient mettre leur bermuda, il avait juste pris un livre, son ipod et une paire de lunettes de soleil. Bien entendu, les « tu ne te baignes pas avec nous ? » et « enlèves au moins ta chemise… non ? » fusèrent de toutes les lèvres de ses amis, mais il avait une explication toute prête : « Je ne sais pas ce que j’ai en ce moment, mais il y a une petite plaque d’eczéma qui s’est formée dans mon dos, or une peau souffrant d’inflammations ne bronze pas… et je n’ai pas envie de me retrouver avec une tâche blanche dans le dos ». Tout le monde acquiesça, sachant parfaitement que le jeune homme était d’une santé fragile. On l’invita à s’installer à l’ombre d’un palmier, ce qu’il fit avant d’ouvrir son livre d‘un air satisfait, une musique de piano se diffusant à ses oreilles par le biais de ses écouteurs. A bout de quelques instants, il sentit le sommeil le rattraper à nouveau, ce qui était plutôt étonnant puisqu’il avait dormi comme une marmotte jusqu’à midi, mais il n’hésita pas un instant avant d’éteindre la musique et de poser son livre à ses côtés, avant de fermer doucement les yeux et de s’endormir aussi sec.

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- Tu savais que beaucoup de gens meurent assommés par des noix-de-cocos ?

C’était la voix de Shintaro qui l’avait tiré de son profond sommeil, résonnant à ses oreilles comme une douce musique. Il devait très certainement les avoir rejoint alors qu’il dormait. D'ailleurs, combien de temps avait-il dormi ? Son petit doigt doit lui disait "pas mal de temps".

- Hein ?
- Les noix-de-cocos.
- Oui, quoi ?
- Tu tiens vraiment à t’en prendre une dans la figure ?
- Hein ?! O.ô

L’autre éclata de rire en le prenant par la main et le faisant se lever de son lit de sable.

- Toi, tu as besoin d’un bon petit thé pour te réveiller, tu viens au Café ? Je t’invite.

Heichiro avait épousseté le sable qui s’était logé dans les replis de ses vêtements, en acquiesçant avec un petit sourire qu’il n’arrivait pas à s’empêcher de faire. C’était comme ça, il avait beau se douter que l’invitation de son amant n’était pas désintéressée et qu’ils allaient sûrement finir dans les toilettes des hommes à faire des choses très peu catholiques - même pas du tout - il ne pouvait s’empêcher de sentir des papillons dans son ventre à chaque fois, quand bien même il avait conscience d’être pris pour un jouet de première, il aimait sincèrement Shintaro et se traitait souvent d'idiot pour cela. Il l’avait donc suivi sans rechigner, disant à ses amis qu’ils allaient boire un thé - ce qui n’était pas complètement faux - et qu’ils revenaient, leur promettant de ramener quelques bons gâteaux.
Sur le chemin du café, il regarda en coin son petit-ami non-officiel et trouva qu’il avait pris quelques couleurs sous le soleil de Naha. Il était encore plus beau que d’habitude, ces vacances avaient vraiment un effet très positif sur lui.
Arrivés à destination, ils s’assirent à une table un peu à l’écart des autres et commandèrent chacun leur thé, un à la menthe pour Heichiro. Ce dernier observait son amant boire son thé à une allure folle alors qu’ils discutaient de tout et de rien, pour sûr qu’il allait encore lui demander quelque chose de pervers. Il buvait à petites gorgées en s’interrogeant sur son futur proche lorsqu’il eu sa réponse : sentant que Shintaro commençait à lui faire du pied, il leva les yeux vers lui, croisant les siens qui lui désignaient l’entrée des toilettes. L’échange muet se poursuivit. Le regard d’Heichi disait « Quoi ? Icimaintenanttoutdesuite ? » et celui de son vis-à-vis devenait de plus en plus insistant, à tel point que le jeune héritier se leva brusquement en se raclant la gorge.

- Hum, euh, je vais aux toilettes… Annonça-t’il avant de s’éloigner d’un air résigné vers les toilettes, sous le sourire victorieux de Shintaro qui le rejoint quelques minutes plus tard, l’air de rien.

Se faire plaquer contre un mur, gémir sous la myriade de baisers, souffrir de quelques suçons sur son torse et d’une main baladeuse dans son sous-vêtement, se retenir de faire trop de bruit, jouir puis insérer à son tour sa main dans le boxer de son amant, se baisser, ouvrir sa braguette, sortir la sucette et la mettre à la bouche ; une habitude pour Heichiro qui ne savait résister aux chantages et aux pulsions sexuelles de Shin. Et puis ainsi il était presque sûr qu’il ne laisserait rien échapper à propos de son homosexualité.
Ils sortirent essoufflés de la cabine des toilettes… Et encore ils n’étaient pas passés à l’acte sinon on aurait récupérer Heichi à la petite cuillère. Celui-ci se dirigea immédiatement vers les lavabos pour se laver les mains et le visage, tandis que l’autre faisait de même, avec un petit sourire satisfait sur le visage - toujours le même sourire qu’à chaque fois qu’il obtenait ce qu’il désirait. Ils passaient la porte des toilettes sans un mot, lorsque Shintaro chuchota à l’oreille de son amant :

- T’en as encore un peu au coin de la lèvre.

Heichiro sursauta et s’essuya vivement la bouche, les joues roses et les mains tremblantes, ce qui fit rire l’autre :

- Je t‘ai bien eu ! Pouffa-t’il en lui mettant une main aux fesses.

En temps normal, le jeune homme l’aurait repoussé avec force, au bord de la syncope tellement sa peur de se faire découvrir était forte. Seulement il ne fit rien, ne bougea pas, le cerveau fonctionnant à tout allure alors qu’une boule de stress s’était formée dans sa gorge : Suzuki Miharu, une fille de sa classe, avait vu toute la scène. Elle avait tout vu et avait manifestement compris, vu l’air choqué qu’elle affichait à présent et le fait qu’elle se soit détournée si vivement.
Il se tourna vers Shintaro, lui clouant le bec par son air soudainement bouleversé :

- Shin, part sans moi, j’ai des choses à régler.

L’intéressé le regarda d’un air étonné, puis haussa les épaules avant d’aller payer à la caisse et de partir sans un regard pour lui. Heichiro soupira lentement, essayant de maitriser ses émotions et dirigeant son regard vers Suzuki puis, prenant son courage à deux mains, s’avança vers sa table. Il s’éclaircit la voix et lui demanda poliment :

- Excuse-moi, est-ce que je peux m’assoir à ta table ?