Il était proche de 14 heures et tous les étudiants coréens et japonais étaient sortis jouir du beau temps et de la plage. Tous ? Non pas tous… Un élève, Sakamoto Keishô, était resté à l’auberge et comptait bien profiter que celle-ci soit déserte pour se reposer. En effet, le jeune homme n’aimait pas et ne pouvait pas dormir avec d’autres personnes autour de lui. L’idée même qu’on puisse le regarder entrain de dormir lui déplaisait et il redoutait que quelqu’un en profite pour s’attaquer à lui. La question de survie était une notion très présente chez Keishô et avec ce qui lui était arrivé il avait tendance à voir le mal partout. Le jeune nippon s’approcha de la porte de la chambre et tourna le verrou pour la fermer à clef de l’intérieur. De cette manière il était certain que personne ne ferait irruption dans la pièce pendant son sommeil. Et puis c’était autant pour lui que pour les autres car lorsque Keishô était en prise avec un horrible cauchemar il pouvait facilement rentrer dans une crise d’angoisse incontrôlable et s’en prendre à toutes les personnes présentes dans la chambre. Mieux valait donc qu’il dorme seul et qu’il prenne toutes les précautions nécessaires. Lorsqu’il fut assuré que la porte était correctement fermée il se laissa tombé tout habillé sur le petit lit qu’on lui avait alloué et replia ses bras sous son menton. Il avait accumulé pas mal d’heures de sommeil en retard et dormir lui ferait le plus grand bien. Il en avait besoin. Lentement le jeune nippon déplia l’un de ses bras et le tendit vers la table de nuit pour attraper le réveil. Il régla la sonnerie à la bonne heure et le reposa. Il voulait être sûr de se réveiller pour ouvrir la porte de la chambre aux garçons de sa classe quant-ils rentreraient de la plage. Après tout il ne souhaitait pas non plus monopoliser l’espace et les empêcher de prendre leurs affaires. Keishô enfouit la tête dans l’oreiller et ferma les yeux. Il s’endormit assez rapidement et s’enfonça dans un profond sommeil sans rêve.

Le réveil du jeune nippon n’avait pas encore sonné lorsqu’il se leva de son lit après avoir dormi plusieurs heures. Keishô fit quelques pas dans la pièce avant de s’arrêter. Ses mouvements étaient raides, presque robotiques et ses yeux encore plus vides et inexpressifs que d’habitude. Qu’est ce qui n’allait pas chez le jeune Keishô ? La vérité c’est qu’il était toujours entrain de dormir mais debout ! Hé oui le jeune nippon faisait des crises de somnambulisme de temps en temps.. Toujours en dormant il s’avança vers la porte de la chambre et tourna le verrou. Le jeune homme quitta la pièce et s’aventura dans le couloir. Mais où comptait-il bien aller comme ça ? Keishô descendit une à une les marches de l’escalier avant de traverser le hall et de quitter carrément l’auberge pour se retrouver dans les rues de Naha ! Le jeune homme avança à l’aveuglette dans le dédale des allées, croisant des habitants de l’île qui auraient été à coup sûr très surpris d’apprendre qu’il était en réalité endormi. Le jeune Sakamoto marcha ainsi durant de longues minutes avant de finir sa course dans un parc. Il s’allongea dans l’herbe et ne bougea plus d’un pouce. Il ferma les yeux et continua de dormir comme si de rien n’était.

Le jeune homme dormit durant plusieurs heures et lorsqu’il rouvrit les yeux il était cette-ci bel et bien éveillé. Mais problème il avait tellement dormit qu’il faisait à présent nuit noire sur Naha.. Tétanisé Keishô fut dans un premier temps incapable de bouger, s’agrippant de toutes ses forces aux touffes d’herbes à côté de lui. Il avait à présent du mal à respirer et ne parvenait pas à contrôler les pulsations de son cœur qui s’emballait. Très vite il se retrouva quelques années en arrière, le jour de la mort de sa mère. Ce jour là il était aussi plongé dans le noir lorsqu’une brute épaisse qu’il n’avait pas entendu entrer le tira de son lit et l’amena face au corps défiguré de sa propre génitrice. Maintenant pour lui le noir était synonyme de malheur de danger et d’insécurité et il le fuyait le plus que possible. Le jeune Sakamoto entendait encore très bien les cris et les supplications de sa mère et il lui semblait apercevoir désormais les ombres de ses agresseurs qui traversaient le parc et qui fondaient sur lui. D’un bond le jeune homme se leva et se mit à courir pour échapper à ses ravisseurs imaginaires mais qu’il considérait pourtant comme bien réel. Il avait l’impression qu’ils étaient tout autour de lui, prêts à lui sauter à la gorge mais il ne pouvait pas les discerner dans l’obscurité. Le jeune homme courait toujours à en perdre haleine lorsqu’il aperçu au loin la lumière d’une enseigne. Sans réfléchir il se dirigea vers le bâtiment et pénétra à l’intérieur. Il s’agissait d’un bar, extrêmement bruyant mais éclairé. Keishô ne mettait d’habitude jamais les pieds dans ce genre d’endroits mais cette nuit il s’agissait d’un cas de force majeure. Il espérait maintenant qu’il ne ferme pas avant le levé du jour car il ne se voyait absolument pas rentré à l’auberge dans le noir le plus complet. Il allait être contraint de passer la nuit dans ce bar, il le savait. Doucement le jeune nippon s’approcha du comptoir et s’essaya sur un tabouret. Il devait consommer si il ne souhaitait pas qu’on le vire de l’endroit. A peine avait-il poser ses fesses sur le siège qu’un serveur s’avança vers lui et lui demanda ce qu’il désirait boire.

- « Euh… »

Hum, hum super réponse… A vrai dire Keishô n’avait pas du tout réfléchit à ce qu’il souhaitait boire et le serveur l’avait un peu pris de cours. Heureusement ce dernier s’aperçu de son hésitation et vint à sa rescousse :

- « Whisky ? Rhum ? Tequila ? Saké ? Coca ? Jus de fruit ? »
- « … »
- « Si vous ne parvenez pas à vous décider je peux aussi vous proposer le cocktail surprise de saison.. »

Hein, euh ? On lui demandait de faire un choix alors qu’il était encore secoué par ce qui venait de lui arriver c’était un peu trop pour lui. Imaginez il venait de se réveiller au milieu de nul part alors qu’il s’était endormi dans sa chambre à l’auberge et qui plus est il faisait totalement nuit lorsqu’il avait ouvert les yeux ! Il avait traversé toute la ville en dormant, n’importe quoi aurait pu lui arriver, n’importe qui aurait pu l’attaquer ! Il en tremblait encore rien quand y repensant… Lui qui n’aimait pas s’exposer aux regards des autres lorsqu’il dormait c’était réussi ! Cette fois ce n’était pas deux camarades de chambre qui l’avaient vu dans cet état mais des dizaines et des dizaines de personnes. Keishô n’aimait pas l’idée qu’il s’était montré si vulnérable devant tant de monde… Mais heureusement il ne lui était rien arrivé.

- « Oui ça. »

Le serveur arqua un sourcil mais ne dit pas un mot de plus et s’en alla préparer le cocktail de saison que son client venait de commander à mi-voix. Le jeune homme essaya de se calmer mais sans y parvenir totalement et lorsque son cocktail arriva devant lui c’est d’une main tremblante qu’il s’en saisit et qu’il le porta à sa bouche. Bouarf mais c’était fort ce truc !

C’est ainsi que le jeune Sakamoto passa la première partie de sa nuit. Chaque fois qu’il vidait son verre il en demandait un autre de peur qu’on ne le vire si il ne consommait plus rien. Peu à peu il arriva à faire abstraction du monde qui l’entourait et sa peur des gens se dissipa –presque-.. L’alcool avait l’avantage de l’aider à faire le vide dans sa tête mais au prix de quelques autres inconvénients… par exemple il avait l’impression que toute la pièce bougeait et ce de plus en plus vite. Il avait aussi des nausées et pour la première fois depuis qu’il était entré dans le bar il se leva de son tabouret et rejoignit les toilettes. Dans l’état dans lequel il n’était il ne pensa même pas à vérifier qu’il était au bon endroit et entra dans les toilettes pour dames. Heureusement il n’y avait personne et il se dirigea vers le lavabo pour s’humecter le visage d’eau fraîche. Ses jambes avaient du mal à le porter et il titubait sérieusement. C’était la première fois de sa vie qu’il buvait… et qui sait ce que les ravages de l’alcool peuvent faire.. ?

Si on lui avait dit un jour qu’il se retrouverait dans ce genre d’endroit il ne l’aurait jamais cru. En effet Keishô n’était pas du genre à sortir faire la fête et à fréquenter des lieux aussi bondés mais ce soir il n’avait pas vraiment eu le choix. La musique qui résonnait dans le bar était vraiment très forte et Keishô en avait mal aux oreilles même de l’endroit où il était. Penché au dessus du lavabo il se passa de l’eau sur le visage et ferma un instant les yeux pour cesser de voir la pièce bouger car cela lui flanquait la nausée. Il ne vit pas approcher la jeune femme qui l’aborda en posant une main sur son épaule. Le jeune homme sursauta et ouvrit immédiatement les yeux. La demoiselle lui signala qu’il n’était pas dans les toilettes des garçons en parlant un peu fort pour couvrir le bruit de la musique et celui de l’eau qui s’écoulait dans le lavabo. Keishô tourna la tête en direction de la demoiselle et la dévisagea d’un air hébété. Il avait les yeux éclatés par l’alcool et la lumière du bar et c’est un regard des plus étranges qu’il posa sur la jeune femme. On aurait cru qu’il venait de voir un fantôme ! Il faut dire qu’il n’avait pas l’habitude qu’on le touche et avec l’alcool ses sens tournaient aux ralentis. Il avait un peu de mal à se situer et à rassembler ses idées. Il laissa s’écouler plusieurs secondes avant de faire un pas en arrière pour s’écarter de la jeune femme. Il n’était pas dans les toilettes des hommes ? Oh… zut. Il était vraiment dans un sale état pour ne pas s’en être aperçu plus tôt… Si il avait été sobre il aurait vite remarqué qu’il n’y avait pas d’urinoirs dans cet endroit et aurait compris son erreur. Ensuite, la jeune femme l’appela par son prénom et s’extasia devant sa chemise. Hein ? Mais elle le connaissait ? Le jeune Sakamoto pencha légèrement la tête vers elle pour observer son visage et plissa les yeux. Oh mais oui c’était… c’était… c’était qui ? Ola il était franchement atteint… Et sa chemise ? Qu’est ce qu’elle avait sa chemise ? Elle était pas un peu sèche aussi elle ? Probablement. Elle était tout ce qu’il y a de plus normales sa chemise… elle lui couvrait le dos c’est tout. Elle n’avait strictement rien d’exceptionnelle. Après tout ce n’était pas comme si Keishô était un férue de mode et qu’il avait trop la classe. Il se contentait seulement d’acheter des fringues à sa taille et pas trop voyants de préférence pour qu’on le remarque le moins possible. Le jeune Sakamoto resta un moment sans rien dire, ni faire ; il n’avait pas l’habitude d’être abordé de cette manière et même en étant saoul il ne savait pas vraiment comment réagir. Heureusement l’alcool finit enfin par lui délier la langue et il prononça un peu maladroitement :

- « Euh oui je me suis trompé… » en tant normal il se serait arrêté là mais l’alcool avait prit possession de son cerveau et de sa langue et l’incita à parler plus qu’il ne l’aurait fait habituellement : « J’suis pas une dame aux dernières nouvelles.. et puis j’ai une chemise, comme un garçon… donc je suis un garçon et je me suis trompé de toilettes. Je me suis trompé de toilettes… et je suis un garçon. Un garçon… c’est pas les bonnes toilettes, vous avez raison.»

Euh… oui bien sûr ! C’est bien Keishô tu sais que tu es un garçon, c’est formidable ! Cela dit même si ses paroles étaient maladroites et pas très constructives il y avait longtemps qu’il n’avait pas autant parler ! Pourtant ce n’était pas grande chose.. c’est vous dire comment Keishô parlait peu. L’alcool fait paraître très con mais au moins cela parvient à vous décrochez des mots.

Le jeune homme était toujours planté face à la demoiselle quand sa tête se mit à tourner dangereusement. Il prit son crâne entre ses mains et appuya sur ses tempes à l’aide de ses mains pour faire passer la douleur mais cela ne fit rien. La pièce se remit à tourner de plus en plus vite et Keishô fut de nouveau prit de nausée. Il tenta de se tourner vers le lavabo mais ses jambes se dérobèrent et il tomba à moitié sur la jeune femme en face de lui. Instinctivement il avança ses deux mains devant lui et s’accrocha aux épaules de cette dernière pour éviter de tomber. Ses yeux rencontrèrent ceux de la jeune femme et ce n’est qu’à ce moment qu’il se souvient de qui elle était : Suzuki Miharu ! Pff mais quel idiot il avait été de ne pas s’en être souvenu avant, elle était dans sa classe en plus. Il lui était déjà tombé dessus violemment une fois et voilà qu’il lui retombait dessus une deuxième fois. Keishô avait regretté son geste la première fois et il retira aussitôt ses mains des épaules de la jeune femme. Il ne voulait pas qu’elle pense qu’il allait l’agresser une deuxième fois. Ce n’était pas le cas. Il ne lui ferait rien si elle ne lui faisait rien non plus. On avait fait tellement de mal à Keishô durant son enfance qu’il savait très bien ce que cela faisait et il ne souhaitait en aucun cas faire souffrir quelqu’un à son tour si il n’y avait aucun raison justifiable à cela. Le jour où il l’avait agressé il avait pensait qu’elle lui voulait du mal et puis finalement après réflexion il en était venu à la conclusion que non. Après tout elle n’était pas censée savoir que Keishô avait peur du noir… n’importe quelle personne de son âge normalement constitué n’avait plus peur du noir depuis l’âge de 6 ans ! Donc en y réfléchissant bien le jeune Sakamoto avait réussi à admettre qu’elle n’avait certainement pas fermé la lumière dans le but de l’attaquer par surprise et de pouvoir s’en prendre à lui plus facilement.. Mais bon après le jeune homme savait aussi qu’on ne pouvait jamais être sûr de rien et qu’il fallait toujours rester sur ses gardes. Le jeune nippon se redressa légèrement et reprit sa position initiale, campé face à Miharu.

- « J’ai perdu l’équilibre.. »

Ou plutôt « j’voulais pas t’agresser »… La pièce tournait toujours aussi vite et Keishô avait toujours autant mal à la tête. En plus il avait chaud… très chaud… trop chaud. Sans réfléchir il déboutonna les premiers boutons de sa fameuse chemise et respira un grand coup pour prendre une grande bouffée d’air. Il espérait que l’air chasserait un peu la brume de son esprit mais naturellement il n’en fit rien. Il était vraiment mal en point et en plus de cela il se retrouvait dans un endroit qu’il ne connaissait absolument pas et où il pouvait lui arriver n’importe quoi. Si un drame venait à lui tomber sur le coin de la tête il ne pourrait probablement pas se défendre vu l’état dans lequel il s’était mit.. Mon dieu pourvu qu’il ne lui arrive rien. Y’a pas à dire l’alcool c’est vraiment de la merde.